Comment conjuguer « migration » et « migrations » ? En d’autres termes, est-il encore possible, en politique qui se veut agir trop souvent à court terme, de manière dite efficiente, d’honorer, comme dans la vie publique, l’unicité de chaque parcours, de chaque migration ?...
En osant une brève relecture du phénomène migratoire et des décisions politiques, au cours des dernières années, il semble que la réponse est « non ». Etonnamment, pourquoi ? Le succès bien relatif que connaissent les politiques dans leur dite gestion des flux migratoires pencherait pourtant vers un questionnement refondateur. En effet, quel gouvernement, nourri de démocratie, de fraternité, d’hospitalité ou à l’inverse, pour des motivations diverses, quel gouvernement plus réservé quant au respect de ces dites valeurs, peut hier comme aujourd’hui se targuer d’un modèle largement approprié en « matière migratoire » ?
Et pour cause : la nécessité de l’un n’est pas celle de l’autre. C’est vrai pour les Etats, y compris pour ceux qui semblent prendre part à la même Europe ; c’est vrai pour les collectivités et, tout naturellement, c’est vrai pour les sujets singuliers que nous sommes tous.
En quelque sorte, apparait un enjeu géométrique de définition politique et assurément éthique. Nous pourrions dire qu’il s’agit de redéfinir une économie politique anthropologique. Oui, mais à quelle échelle ? A quelle hauteur ?
Selon l’optique Josefa, sans nier la dimension collective (même si elle est bien embarrassée avec, entre autres, la question des frontières sœurs ou ennemies), il s’agit, nous semble-t-il, à côté des actions en cours (certes, parfois, de pouvoir ou de « domination ») conduites au niveau local comme international, d’écouter les voix singulières (la vôtre, la sienne, la mienne…). Mieux, il s’agit de proposer de s’écouter : il y est question de poser un regard attentif, attentionnée sur nos histoires propres.
Certains diront sans doute que tout a déjà été pensé à travers les réflexions théologiques, philosophiques ou analytiques pour ne citer qu’elles ; d’autres évoqueront des risques « an-archiques » : en tentant de s’éloigner du trop fameux « les migrants », se laisser interpeler par nos migrations en leur unicité, et pas seulement quand elles sont spatiales ou temporelles, comporte immanquablement un prix.
Alors, qui de vous, de nous osera ouvrir la voie pour approfondir et/ou dépasser/contourner les approches traditionnelles, structurales ou systémiques et tenter une réflexion éthique vers un horizon politique inédit ou, pour le moins, renouvelé en matière de questionnement migratoire sans a priori et sans pression liée à un « résultat politique » ?
Si, comme le pense Marx « ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience », nous pourrions tenter de dire que nos migrations font migration et donc qu’elles sont possibles changements : nos migrations ne peuvent être pensées a priori, surtout quand elles sont contraintes (cf. exil…). Elles sont et nous font migrants.
La masse « des quelconques migrants » que nous sommes révèle en soi la réalité de l'unicité de chacun, de chaque migration : je suis migrant, personne ne peut migrer (vivre de ma migration) à la place qui est la mienne.
Avec le plus grand respect pour les trop nombreux drames humains vécus au cours des migrations d’hier et d’aujourd’hui, nous pourrions cependant tenter de dire que nos migrations sont voies (ou voix pour autrui) d’individuation. Par-delà des migrations qui nous apparaissent comme collectives (et qui sont catégoriquement concernées comme telles par les Etats ou divers institutions qui y trouvent « intérêt »), un devenir d’être réellement individuel, au sens de l’expression de notre unicité la plus intime, est irrévocablement possible, pour soi ou pour autrui.
En conclusion, en ce début d’année 2020, nous aimerions inviter celles et ceux qui font ou pensent faire politique à méditer cela : il ne faut pas voir la migration telle que je pense la voir pour autrui, mais telle que je suis, migrant.
Et dès lors, cette conjugaison migration et politique nous invite, tous, ensemble, à percevoir que nos migrations, libres ou contraintes, paisibles ou dramatiques, déplacent le « pouvoir politique » vers un « vouloir ». Le pouvoir des uns ne peut et ne doit pas se substituer, ou, pire, dominer, les vouloirs des autres.