De la presse au sens classique aux revues de recherche, en passant par chaque geste médiatique (au sens d’un regard sur l’actualité ou de l’écho quant à l’actualité), la question se pose : les médias sont-ils figés dans une posture descriptive-analytique ?
Ou bien soutiennent-ils, consciemment ou non, volontairement ou non, des inductions politiques, des « conversions » face aux évènements et à leurs inévitables résonnances ou « bruits » ?
En fait, il s’agit de percevoir pourquoi, en quoi et comment les médias font face aux évènements historiques. Assurément, chaque acteur média peut avoir ou possède une posture de proximité ou à distance, mais nous tiendrons ici une approche d’ensemble, certes réductrice, mais assumée (faute de temps et d’espace).
En matière de médias, nous confondrons également, volontairement, les versions imprimées avec les versions digitales (souvent plus immédiates en termes de report médiatique) et avec les présences sur les réseaux sociaux (encore plus immédiates).
Pour préciser notre questionnement, nous retiendrons une actualité, transhistorique, inter-nationale, humainement universelle : le phénomène migratoire. Il nous apparait, dans le cadre de la Fondation Josefa, comme fondement, à travers le temps et l’espace, de notre condition humaine. Nous laisserons donc de côté les divers débats relatifs à la transition écologique, à la démocratie ou aux situations en Syrie, au Congo ou au Venezuela… De fait, car, pour Josefa, ces évènements, radicalement essentiels, demeurent parts de nos migrations.
La question pourrait aussi s’entendre comme une invitation faite aux dits « médias » : êtes-vous collectivement ou individuellement en capacité de vous inscrire dans une voie « migrante », au sens de renouveler les paysages d’une société humaine inscrite dans le Présent, dans l’Histoire et donc tournée vers l’Avenir ?
Il est vrai que, pour des raisons qui nous échappent (les leçons ont-elles été tirées ?), il semble que le « fait migratoire » ne fasse plus « la une ». Selon l’angle d’approche retenu, ce même fait serait-il encore un fait ou ne le serait-il plus (phénomène, évènement ou signe) ? Là encore, notre regard embrasse large. Toujours est-il que le traitement du « fait migratoire » semble être moins essentiel, aujourd’hui, pour la majorité des médias.
Mais, alors surgit la question : « Pourquoi ? ». Nous pourrions d’ailleurs nous interroger sur le « Pourquoi » d’un surgissement, en particulier en été 2015, au moins en Europe, de ce fait migratoire, vu alors et jusqu’à il y a peu, comme une problématique majeure à traiter et à laquelle trouver des solutions politiques, sociales, économiques.
De même, la manière dont, majoritairement, les médias ont abordé la question migratoire a vu apparaitre une terminologie bien questionnante : « les migrants ». Une nouvelle économie médiatique ? La question vaut d’être posée.
Ce qui tendrait à penser qu’une fois que cette « économie » a perdu de son allant de rentabilité médiatique (cf. l’inédit), elle en est déclassée et devient une source secondaire de « papiers », de « revenus ».
Reste que, jamais, sinon très rarement, le fait migratoire n’a été abordé d’un point de vue existentiel ou existential.
Il a plutôt été question de description, de catégorisation fort discriminante, autour de « les migrants », avec des dosages plus ou moins affectés ou sensibles. Une voie de participation ou de compréhension est-elle encore possible, au-delà des pulsions d’immédiateté dans l’appétence informationnaliste pour des évènements sensationnalistes ?
Un seul média aurait-il tenté de s’inscrire lui-même dans ce mouvement migratoire ? Un seul auteur, journaliste, commentateur aurait-il osé entreprendre/aborder le phénomène migratoire avec une lecture/rupture qui ouvre sur une voie médiatrice autre ?
La question peut être posée au sens d’une éthique de la responsabilité. En effet, les médias, dans leur grande majorité, n’ont abordé l’évènement migratoire qu’en s’en excluant.
Là est sans doute la limite, voire, l’erreur de nombre de médias. Non ! « Les migrants », ce ne sont pas les autres : c’est nous-mêmes qui sommes migrants. Nos migrations questionnent notre condition humaine elle-même.
Alors, pourquoi une telle attitude des médias ? Code déontologique ? Réflexe protecteur ? Incapacité à « migrer » ? Banalité dans l’appropriation des faits, effets, évènements historiques, en l’occurrence nos migrations ?
Les médias semblent ne pas se poser la question, ou si peu, de savoir en quoi leur gestion de la « crise migratoire » a contribué à fracturer nos sociétés en deux « camps » : les pro-migrants et les anti-migrants. Y a-t-il le désir ou la moindre volonté de ne pas créer un fossé entre les approches, source potentielle ou réelle de violence ? Où est le sens recherché, attendu ? Y a-t-il encore recherche de sens ?
Sur l’actualité migratoire, les médias, dans leur majorité, semblent, les uns et les autres, avoir plongé dans le puits des ténèbres : les migrants sont vus comme « les autres », tantôt problème, tantôt opportunité. Mais qui sont ces autres « migrants » ? Quelles frontières entre vous, médias, et « eux » ?
Auriez-vous encore la possibilité de repenser l’évènement migratoire avec « votre cœur intelligent » (cf. Hanna Arendt) ?
Ainsi, se tourner vers l’avenir devient, à votre attention, à vous médias, une invitation, certes, à ne pas oublier vos réflexes professionnels médiatico-culturels, mais davantage à permettre que tous ensemble, nous avec vous, acteurs sociétaux, puissions nous enrichir d’un autre regard sur nos migrations. « Vos » lecteurs, auditeurs, sont, tout comme vous, individuellement migrants, sujets à vivre et à penser nos migrations à tous.
Pour conclure, il serait également intéressant de chercher à percevoir quels médias ont tenté de sortir des ornières socio-économiques ou climatiques et de dépasser l’approche intégrationniste relative aux dits « migrants » au sein de « nos sociétés » ou bien encore de s’aventurer dans les sphères culturelles ou spirituelles relatives à nos migrations.
Aucun, ou quasiment aucun, des médias n’a repoussé les frontières du champ migratoire dans son traitement de l’information. Quasiment aucune imagination culturelle ou spirituelle. Par-là, « les migrants » ont été faits « objets » de traitements médiatiques, voire, jouets entre parties en quête de nouveaux jeux.
Plus sérieusement, en conclusion, les médias sont-ils encore migrants ? Quel média voudra bien « migrer » et risquer de s’approprier sa propre expérience : « je suis migrant » ? Au seuil d’une mémoire des seuls faits ou bien en franchissant le seuil d’une mémoire englobante de notre condition humaine qui, collectivement ou individuellement, s’enrichit, à travers les siècles et, si possible, à travers vous médias, de notre pleine capacité d’être migrant donc humain.
Merci à vous, médias, de penser à l’exercice de votre liberté migrante, de votre rôle politique, de « sortir des clichés » qui, trop souvent, sont l’objet bruyant de votre seule survie médiatique.